La startup Swile vient de lever 200 M$ majoritairement auprès du Japonais Softbank. Bien au-delà du ticket restaurant dématérialisé, c’est selon Cyril Vart, executive VP de Fabernovel, grâce à sa stratégie de développement du marché prometteur des plates-formes avantages employés qui en fait une jeune pousse d’avenir. (Capture Swile)
Comment expliquer l’imposante levée de fonds de 200 M$ (173 M€) du Montpelliérain Swile, principalement connu pour sa dématérialisation des tickets restaurants ? Et sa valorisation à hauteur d’un milliard de dollars qui en fait la 19e licorne française (la 10e pour la seule année 2021). Cyril Vart, executive vice-président du cabinet d’accompagnement de l’innovation Fabernovel décrypte pour Enjeux RH les raisons de cet engouement. Fabernovel observe en effet de près depuis plusieurs années les nouveaux modèles des GAFA et de leurs héritiers.
Pour lui, la valorisation de Swile et son attractivité auprès des investisseurs, en tête desquels le géant Japonais Softbank, dépendent principalement du marché et de l’objectif visés. « Les considérer uniquement comme une solution de dématérialisation de tickets restaurants, par exemple, ce serait un peu comme continuer de considérer Amazon comme un livreur en ligne, » affirme-t-il ainsi. On a plutôt affaire à un modèle de plate-forme avec un potentiel de licorne.
Une pépite du B2B2E, les avantages aux employés pour doper l’activité
« Cela dit, même si les investisseurs impliqués dans la levée de fonds ne voient effectivement dans Swile qu’un substitut digital aux tickets restaurants, face à des historiques Edenred, Sodexo, Up et autres, c’est déjà une perspective de marché intéressante. Il y a deux ans, la marge brute y était estimée à 40% environ. Il reste que ce n’est pas un marché extensible. » Ce qui n’est pas le cas du BtoEtoB, le business-to-employee-to-business dans lequel il serait plus justifié de faire entrer la start-up, selon l’executive VP de Fabernovel. Le BtoEtoB désigne des démarches d’entreprises qui soignent leurs employés avec un objectif RH, mais aussi parce qu’elles savent que cela dope l’activité.
Le processus d’évolution de Swile pourrait suivre un modèle de type Amazon qui a commencé par la vente de livres en ligne puis est devenu au fil des ans la gestion de toutes les transactions (vente en ligne, cloud, logistique, etc.) Cyril Vart, executive vice-président de Fabernovel.
Beaucoup de sociétés cherchent en effet à se différencier pour séduire les candidats et retenir les collaborateurs. Et pour cela, elles proposent des avantages comme les tickets restaurant, l’accès à une salle de sport ou à des loisirs culturels, des barres chocolatées, une conciergerie, des facilités de transport diverses, etc. « Tout ce qui n’est pas du cash et que les Etats-Uniens appellent le package, les benefits, résume Cyril Vart. Dans le cas de Swile, les employés utilisent tout le temps leur carte pour accéder à l’ensemble de ces services. Le marché de ce type d’offres devient significatif, et de plus, il reste élastique. Si les équipes veulent tout à coup accéder à une bibliothèque Kindle par exemple, il est tout simplement possible de l’offrir toujours via la même carte. »
Un modèle de développement de type Amazon
Dans l’hypothèse où il s’agirait bien de la stratégie de Swile, son marché cible serait donc constitué d’une part de la palette de services proposés aux employés. « Même sans prendre en compte la Chine, cela justifierait largement la valorisation à un milliard de dollars. Le processus d’évolution de Swile pourrait suivre un modèle de type Amazon qui a commencé par la vente de livres en ligne puis est devenu au fil des ans la gestion de toutes les transactions (vente en ligne, cloud, logistique, etc.) »
En plus de cet objectif premier, Swile fournit également ainsi aux entreprises un outil de contrôle de gestion automatique et direct sur ce type de dépenses associées aux avantages employés. Plutôt qu’un reporting, c’est l’activité réelle qui est directement récupérée. Il n’est pas non plus besoin de réconcilier des données d’origines différentes. « Et avec l’automatisation, cela réduit même les coûts de gestion de ces frais, ajoute Cyril Vart.
Un atout : le marché des TPE et PME délaissé par les grands
« Ils ont un autre atout, continue-t-il c’est d’être sur le marché des TPE/PME. D’abord, parce que les grands acteurs du marché n’y vont pas. Il est évidemment plus facile d’avoir un important contrat avec une entreprise du CAC 40 que de cibler de nombreux petits contrats. » Mais pour Cyril Vart, les petites entreprises présentent l’avantage de ne pas avoir d’existant. De plus, elles se tournent de plus en plus vers l’embedded finance (les solutions financières directement intégrées sur leur site, dans leur système, sans passer par une banque, NDLR). « Prenons l’exemple de la solution de paiement Stripe (valorisée 95 Md$ NDLR). Elle a largement été sous-estimée à son démarrage et elle est pourtant utilisée aujourd’hui par une forte majorité de petits e-commerçants aux Etats-Unis. » Swipe pourrait suivre le même chemin.
Une app mobile d’entreprise entre Slack et Whatsapp
Il ne faut non plus oublier non plus qu’en sus de ses titres restaurants digitalisés et de sa carte de paiement professionnelle, Swipe a développé une app mobile interne pour les entreprises. Une solution qui s’inspire autant d’un Slack que d’un Whatsapp dans une version orientée uniquement vers les équipes et les collaborateurs pour des usages professionnels. Elle permet de réaliser des sondages simples, personnalisables et anonymes, de noter un événement, d’organiser une réunion, de féliciter une équipe ou un collègue, organiser un déjeuner ou pourquoi pas collecter de l’argent pour un défi sportif en utilisant bien sûr la carte Swipe. Pour cela, elle dispose aussi d’une messagerie associée à un annuaire, sorte de trombinoscope en version 2021, pour mieux connaître ses collègues, leur travail, leurs compétences et échanger avec eux.
Pour Cyril Vart, c’est un développement essentiel, toujours pour attirer et fidéliser les collaborateurs, en particulier les plus jeunes. « Personne ne consulte les actions du comité social et économique (CSE) décrites dans l’intranet, estime-t-il. En particulier, au sein des nouvelles générations. Ce type de service sous forme d’app avec tout ce qu’il faut pour une forme de vie sociale dans l’entreprise devient indispensable. »
L’ombre de la concurrence potentielle d’un historique ou d’un Gafa
Parmi les freins à la croissance d’un Swile, Cyril Vart évoque l’adaptation à différentes zones géographiques. « C’est un des derniers leviers d’élasticité pour le développement d’une telle solution, continue Cyril Vart, c’est de conserver un coût opérationnel constant partout dans le monde. C’est le modèle de base des GAFA. » Plus le service est universel et standard, plus la start-up dispose d’importants leviers de marge. « Si elle doit adapter sa solution en fonction des régions du monde, il y a un risque que cela érode ses bénéfices. »
Quid de la concurrence ? Outre les très nombreux acteurs qui s’attaquent directement au sujet des avantages employés, selon Cyril Vart, personne n’est à l’abri du réveil d’un acteur historique comme un Disney, un Walmart ou un Nike sur d’autres marchés. « Les historiques Edenred, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France peuvent décider d’entrer dans le jeu. Ils ont bonne réputation, savent garder talents, ont déjà dématérialisé leurs services, même si les investisseurs trouveront plus facile d’accompagner une start-up. » Il ne faut jamais non plus sous-estimer l’intérêt potentiel, et souvent fatal, d’un Gafa pour un marché, quel qu’il soit. En l’occurrence, Google a sa G Suite de bureautique cloud professionnelle et Amazon a son Amazon Business Prime pour les achats groupés d’entreprise. Même si ces environnements ne menacent pas frontalement Swile, rien ne les empêche d’évoluer vers d’autres services aux employés.
Pour Cyril Vart, c’est sans doute bel et bien l’idée d’une solution simple et automatisée pour les avantages employés, étoffée par une app d’organisation sociale dans l’entreprise que Swipe a promue auprès des investisseurs. Des structures qui savent qui plus est désormais décrypter et apprécier ces nouveaux modèles d’entreprise. Et même les mesurer, en regardant en l’occurrence le revenu moyen par utilisateur (ARPU), le niveau de dépenses par client, etc. De quoi justifier la la levée de fonds et la valorisation de la licorne.
Emmanuelle Delsol